Bienvenue au labo! Vous rêvez de comprendre la magie des procédés anciens? De maîtriser les tirages cyanotype? Van Dyke? et autres papier salé? Pas de problème. Nous voici aujourd’hui chez le meilleur des disciples du procédé ancien : le photographe Paul Allain et plus exactement dans le laboratoire de Papier Sensible. Vous découvrirez comment se déroulent ses ateliers à travers mon expérience de l’Apéro Cyano de juillet 2017. Et pour vous faire encore plus saliver, Paul nous fait partager sa passion des techniques POP (print over paper) à travers une interview. L’association Papier Sensible est une association de loi 1901, créée en octobre 2016. Son objectif premier est de promouvoir l’usage des techniques de tirage photographique par contact, en les remettant au goût du jour par une mise en oeuvre numérique. Elle est à l’initiative de Paul, formé aux techniques de tirages à l’école des Gobelins.
J’avais déjà rencontré Paul Allain aux apéros de Dans Ta Cuve! et j’avais été époustouflée par ses tirages à la gomme bichromatée et sa dextérité. C’est peut-être même depuis ce temps là que j’ai été contaminée par le virus des procédés anciens avec l’envie perpétuelle de maîtriser des techniques de plus en plus compliquées pour des résultats encore plus intéressants! Finalement, depuis 2015, le temps est passé si vite, que je n’ai pas eu un moment pour approfondir les échanges avec lui. Dommage, j’avais mille questions à lui poser. Bien-sûr que dans le domaine du cyanotype et d’autres procédés anciens, je m’y connais un peu. Mais c’est tout de même complètement différent d’apprendre par soi-même et d’écouter les conseils d’un vrai spécialiste; d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un photographe professionnel, non?
Finis les regrets! Nous sommes fin juillet, et je me suis enfin décidée à m’inscrire à un « Apéro Cyano » organisé par Paul dans le laboratoire de Papier Sensible sur le site bucolique des Grands Voisins (82, Avenue Denfert-Rochereau, dans le 14ème arrondissement). Les Grands Voisins, j’en avais déjà entendu parler car c’est devenu the place to be pour boire une bière. Un quartier dans un quartier, connecté, solidaire, bobo et en même temps complètement atypique. L’ancien Hôpital Saint Vincent de Paul a été transformé pour quelques années en un lieu incroyable où cohabitent sans abris, associations culturelles et sportives, buvettes de quartier. Là-bas, les habitants échangent des services en monnaie-temps. Il y règne bienveillance et générosité. C’est aussi un laboratoire urbain où se crée de nouveaux projets culturels et écolos. Même sans apéro, je vous conseille fortement d’y faire une ballade. S’imprégner de l’ambiance le nez au vent. Un concert? Une recyclerie sportive? Maintenant Paul et son labo sont situés 40 rue Laffitte, Paris 9ème à côté de Tizozio Labo Photo.
Zoom sur les Grands Voisins : En 2012, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris a confié l’ensemble du site à l’association Aurore, spécialisée dans l’hébergement d’urgence et l’accueil de personnes vulnérables. Le site entier est en cours d’acquisition par la Ville de Paris pour y développer un nouveau quartier de ville, avec la création de 600 logements. Les travaux du projet urbain ne commenceront qu’en 2017. En attendant, l’enjeu est d’utiliser le temps de vacance de ce site extraordinaire en proposant ou suscitant des usages audacieux et généreux.
L’Apéro Cyano
19h30, nous voilà arrivés au labo, Phillipe Dedryver et moi-même. Une petite bière, du pain, du fromage et même du rouge! De quoi faire connaissance. On est très bien accueillis chez Papier Sensible! Place maintenant à la pratique. Dans la semaine, nous avions envoyé à Paul le fichier numérique d’une photo. Il a alors transformé cette photo sur Photoshop en négatif, a réglé les différents contrastes nécessaires à la réalisation du tirage et l’a ensuite imprimé sur un transparent de bonne qualité. Nous allons pouvoir utiliser ce négatif pour notre tirage contact.
Mais avant cela, Paul se présente, nous parle de sa passion pour les procédés anciens, de l’histoire des grands voisins, nous raconte ses anecdotes de photographe, et nous montre – Ô délice – ses différentes réalisations : gomme bichromatée, papier salé, Van Dyke, Cyanotype, virage au thé, virage à l’or, palladium, tirage charbon… C’est à ce moment là où j’ai commencé à baver, je crois.
Petite introduction aux procédés anciens
Paul nous raconte que les procédés anciens peuvent être classés en deux catégories : les pigmentaires et les métaux. Le cyanotype, le Van Dike, le papier salé, le palladium, utilisent les propriétés d’oxydo-réduction de certains métaux : le fer, l’argent, le palladium qui réagissent entre eux et se transforment sous l’effet des rayonnements UV. Plus le métal sera précieux et plus votre tirage sera stable dans le temps. Mention spécial pour le palladium et le platine! Chers mais stables dans le temps! Ce qui est assez logique, un bijou en platine sera bien moins vite oxydé qu’un bijou en argent ou en fer!
La gomme bichromatée, quant à elle, est un procédé pigmentaire. Le principe est simple. On mélange de la gomme arabique (la colle de nos timbres, issue de la sève d’acacia), à des pigments non gras et du bichromate de potassium. Tous les pigments sont à priori envisageables mais les plus utilisées sont en général : l’aquarelle en tube, l’ocre, le noir de fumée et la terre de Sienne.
On enduit notre papier avec cette solution. Une fois sec, on y ajoute notre négatif : émulsion contre émulsion. Au soleil, et sous l’effet du bichromate de potassium, le polymère (la gomme) durcit. Dans les régions qui n’auront pas été exposées, la gomme restera liquide. Il suffit ensuite de rincer le tirage à l’eau pour enlever la gomme qui n’a pas été exposée. Toutes les couleurs sont possibles. C’est ainsi que Paul a réalisé des tirages couleurs à partir de différentes couches de gomme bichomatée de différents pigments. Petite parenthèse : il est très difficile de se fournir en bichromate de potassium, car il est aujourd’hui classé CMR (CMR = Cancérigène, Mutagène et nocif pour la Reproduction, donc très toxique). C’est d’ailleurs un gros problème pour le retraitement de ses déchets.
Sur le même principe, il existe également le tirage charbon. Long et délicat. De la glycérine, de la gélatine, du charbon et du bichromate sont mélangés. La gélatine a la propriété de se dissoudre dans l’eau chaude. Après rinçage, on obtient des tirages qui sont les plus résistants qui existent. Finesse des détails. Je vous laisse juger dans la vidéo ci-dessous du site wetprint du maître Calvin Grier la dextérité qu’il faut pour réaliser ces tirages de luxe.
Chez Papier Sensible, les ateliers sont pédagogiques, accessibles et se font toujours dans une bonne ambiance. Le laboratoire est très bien équipé et Paul explique en détails, conseille aussi. Il invite parfois de grands artistes comme Sidney Kapuskar qui réalise des tirages charbon en atelier sur plusieurs jours. Quel privilège d’apprendre des plus grands!
Maintenant c’est à nous de réaliser notre cyanotype! Dans un premier temps, Paul nous donne quelques conseils importants. Et c’était loin d’être du superflu!
Les conseils de Paul Allain
Le choix du papier : de la qualité avant tout
Il en existe de toute sorte : grain fin, grain torchon… Mais attention, l’essentiel est qu’il soit de fort grammage. Conseil pour le papier : choisir du papier dense (300g/m2). Papier en coton comme le BERGGER 320 CT ou bien Les Arches pour Aquarelle. L’esthétisme : fibres, grains… c’est à votre convenance! Pour cet atelier, nous utiliserons du papier Fabriano que Paul achète en grands rouleaux.
Les pinceaux
Favoriser les pinceaux en plastiques plutôt que ceux qui contiennent des bagues en métal qui vont s’oxyder et laisser des traces métalliques sur vos tirages. Certains photographes utilisent une baguette en verre pour étendre leur solution. Pinceaux pour acryliques et pinceaux mousses sont très pratiques à condition de les humidifier avant de les plonger dans vos solutions.
Le tirage par contact c’est quoi?
Utiliser un Chart Throb pour étalonner Photoshop sur un procédé ancien
Selon le type de procédé utilisé : papier salé, cyanotype, Van Dyke, vous n’obtiendrez pas la même densité et les mêmes contrastes à partir du même négatif. Si vous souhaitez être le plus fidèle possible de votre image original, il vous faudra alors soit modifier votre chimie (ajouter des agents de contraste par exemple ou faire varier les proportions de produits), modifier votre temps d’exposition au soleil ou bien modifier votre négatif en fonction du procédé choisi. C’est ce que Paul a choisi de privilégier. Par exemple, pour un Van Dyke, vous avez intérêt à pousser les contrastes de votre photo pour en faire un négatif. En cyanotype, ce sera plutôt l’inverse. Le Chart Throb est comme une mire de nuance qu’il suffit d’utiliser comme négatif. Sur Photoshop, il suffira alors de créer un scénario qui pourra alors établir les niveaux en fonction du procédé utilisé. Vous obtenez ainsi le négatif idéal.
Emulsion contre émulsion
Pour transformer votre photo en négatif, il va falloir la retourner (symétrie horizontale). Pourquoi? Parce qu’il faut toujours que la couche d’encre sur votre transparent soit le plus prêt de votre papier sensible. On parle d’émulsion contre émulsion.
Préparation du papier
Veillez toujours à croiser les coups de pinceau : dans le sens horizontal puis vertical.
L’eau oxygénée pour raviver le cyanotype
De l’eau oxygénée (disponible en supermarché) peut vous servir à raviver les bleus de votre cyanotype. Il suffit d’en mettre un peu dans une cuvette et d’y plonger votre tirage. Puis de le rincer à l’eau.
De la soude pour éclaircir votre cyanotype
Sur le même principe que l’eau oxygénée, de la soude (lessive St Marc de supermarché) peut vous permettre d’éclaircir un tirage trop foncé. Voir même de le blanchir tout à fait si vous le laissez trop longtemps.
Le virage au thé
Le virage au thé permet de donner des teintes sépia à votre cyanotype. Il peut être précédé ou non d’un lavage à la soude.
Réalisation du Cyanotype
Allez au travail! Dans un premier temps nous avons scotché notre feuille de papier et préparé notre solution cyanotype en prélevant avec des seringues, et en mélangeant les deux solutions A et B en proportions 50/50. Nous utilisons un pinceau mousse.
Après avoir fait séché notre papier sensible, nous pouvons le maintenir contre notre négatif et le placer sur le banc UV pendant deux minutes. Nous pouvons maintenant développer notre tirage en le rinçant à l’eau dans une cuvette.
Il ne nous reste plus qu’à le laisser sécher ou refaire un essai en changeant le temps d’exposition.
Et voici l’image d’origine que vous pouvez comparer! La principale différence réside dans les fibres du papier : visibles et tortueuses.
Pour aller plus loin :
- la page Facebook : https://www.facebook.com/papiersensible/
- les pigments pour la gomme bichromatée : http://disactis.com/store/fr/90-pigments
- le site de Calvin Grier : http://calvingrier.com/historical-prints/
- le site de Sidney Kapushar : http://www.sidneykapuskar.com/ambrotypes-portraits/
Compte rendu et visite très intéressants. Une belle dynamique à encourager !
Merci beaucoup! Et merci pour la visite! 😀