La photographie de Mélanie-Jane Frey

Mélanie-Jane Frey a ce grain de folie, cette spontanéité et cette énergie débordante qui la rend à part entière! Tellement dynamique et talentueuse qu’elle a a déjà vécu mille vies! Après 20 ans comme grand reporter photo-journaliste à photographier des sujets aussi diverses que les campagnes présidentielles de 2002, 2007 et 2012 pour des grands journaux comme Le Monde, Le JDD ou Marianne, l’islamisation des femmes en Irak ou le Sida en Côte d’Ivoire, elle se recentre aujourd’hui sur sa démarche artistique et devient une spécialiste hors-pair des procédés anciens. Elle crée son studio « Studio Ambrotype & Co » en 2017 dans le quartier de Belleville et propose des séances de portraits originales aux sels d’argent. Retour à un travail manuel, aux techniques historiques. Elle travaille principalement le collodion humide sur plaque de verre ou d’aluminium avec une chambre photographique (procédé datant du 19ème siècle). Mais ce n’est pas tout ! Elle court aussi des festivals comme celui de « Celebration Days Festival » cette année à Cernoy (une sorte de Woodstock moderne), propose des Masterclass en ligne, mais aussi des stages collodion humide! Aujourd’hui je vous propose de la suivre, d’écouter son point de vue sur la photo numérique et argentique, la place de la femme en photo, et de profiter de son talent de pédagogue autour d’une interview qu’elle m’a si gentiment accordée cet été !

Qui est Mélanie-Jane Frey ?

Mélanie-Jane Frey débute la photo à 13 ans. A 17 ans, elle travaille déjà pour la presse! Elle côtoie le milieu des professionnels de la photographie lors d’un stage à l’agence Magnum à Paris. Oui oui rien que ça! Mais Mélanie-Jane est aussi attirée par les liens sociaux, les relations humaines, l’Histoire. Elle veut être témoin des changements historiques et immortaliser ce qui est éphémère ou va disparaître. Elle est naturellement attirée par le métier de journaliste. Elle fera des études d’Histoire (Paris – Sorbonne) – options Sciences Politiques et Histoire de l’Art (diplomée en 1997). Mais la photo ne la quitte pas pour autant. Bien au contraire! La créativité sera toujours une composante essentielle de sa vie. Elle gardera une dimension artistique et mêlera Histoire et photo : elle deviendra photo-journaliste. Elle fera ensuite ses débuts (1999-2001) comme correspondante à Rome en Italie et au Vatican où elle apprend les rudiments du métier auprès de la presse internationale mais de façon autodidacte.

FACING GOD – Mélanie-Jane FREY (c)

Portraits de personnalités et hommes politiques

Rapidement, ses compétences de photographe et son regard particulier sont employés par des entreprises et des ONG qui cherchent des images de qualité et originales pour communiquer sur leurs activités et leurs équipes. De retour à Paris en 2001, elle couvre sa première élection présidentielle en 2002 puis en 2007 et 2012, notamment pour le Figaro Magazine, Le Monde, le JDD et Marianne… La presse française et internationale l’emploie pour la photo politique, les portraits de personnalités, et le grand reportage.

Le Dalaï-Lama – Mélanie-Jane FREY (c)
Karl Lagerfeld – Mélanie-Jane FREY (c)

Photo-reporter

Elle porte en 2002 un regard sur l’islamisation des femmes en Irak pour un portfolio de 15 pages en noir et blanc dans le magazine Marie-Claire – Italie, puis des voyages en Afghanistan pour travailler sur l’espoir post-Massoud, et beaucoup de reportages en France sur la dégradation du tissu social entre 2004 et 2007.

BORN WITH MASSOUD – Mélanie-Jane FREY (c)
UGANDA – Mélanie-Jane FREY (c)
« Tchadors in Irak » – Mélanie-Jane FREY (c)

Mélanie-Jane Frey travaille ensuite sur le Sida en Côte d’Ivoire, les femmes d’affaire africaines, les enfants du Tsunami, l’Église catholique et la chrétienté en Europe, ainsi que sur la problématique des banlieues. Pour le Grand Prix Humanitaire du magazine Madame Figaro, elle couvrait chaque année les aventures humanitaires de femmes d’exception. Pour le magazine La Vie, pendant 15 ans, elle produit des reportages et des portraits axés sur les problématiques sociales et la religion. Elle sera responsable d’une rubrique hebdomadaire texte et photo intitulée « C’est Ma Foi » de 2013 à 2015.


Le partage des connaissances et la place de la femme en photo

Mélanie-Jane me confie les difficultés qu’elle a rencontrées en voulant apprendre le métier dans un monde très masculin où les « techniques » ne se communiquent pas et où les femmes sont plutôt devant l’objectif que derrière. Le savoir technique serait-il le paroxysme du pouvoir dans le milieu de la photo ? Quelle parade jouer alors lorsqu’on est une jeune femme qui souhaite progresser de façon autodidacte ? Faut-il afficher son plus beau sourire et papillonner des yeux (je reste soft) pour obtenir quelques conseils de pro ? Ou bien se résigner ? Dans la langue française (sans faire un débat sur l’écriture inclusive), nous employons bien l’article : LE, LE photographe. Salon de la Photo Porte de Versailles à Paris : même constatation, et cela chaque année. Les femmes sont autant sur les podiums qu’au Salon de l’Auto et rarement à tester l’appareil dernier cri en se pavanant. Même si les femmes photographes sont de plus en plus présentes dans le milieu et aussi recherchées, notamment pour leur sensibilité particulière (à tort ou à raison ? la sensibilité n’est pourtant pas genrée), elles sont encore très peu représentées dans les expositions. Parti pris des commissaires d’exposition qui à compétences égales, choisiront plutôt d’exposer des hommes que des femmes, me dit Mélanie-Jane Frey. Et qu’en est-il des workshops et des formations : les femmes sont-elles reconnues pour leur pédagogie ? Pas vraiment non. Même combat. Mélanie-Jane constate que les hommes sont peu nombreux à suivre ses formations qui demandent un lien de communication directe avec la « formatrice », aussi compétente et réputée soit-elle. Pourtant, lorsque les cours sont en ligne, la proportion d’hommes augmente. Serait-ce juste une histoire d’égo ? Elle n’est pas la seule à me témoigner ce manque de partage ET la difficulté supplémentaire d’être une femme qui souhaite partager. Une femme doit-elle être forcément meilleure qu’un homme pour gagner la même place ? Mélanie-Jane est assurément une POWER-WOMAN m’affirme Sidney Kapuskar, qui connait bien le milieu. Se résigner, il n’en est évidemment pas question pour Mélanie-Jane qui serait plutôt du genre à chercher de nouvelles idées : pour attirer les hommes dans ses formations grâce à des cours dématérialisés et pour exposer des femmes talentueuses (par elle-même en septembre dernier, exposition PREMIERS REGARDS à Belleville). Elle regrette le modèle anglo-saxon de mentor-élève qui permet de transférer le savoir et de favoriser les échanges. PARTAGE est aujourd’hui son maître mot ! Transmettre, communiquer et avec passion et pédagogie.  


Retour à l’essence créative : les procédés alternatifs

Tirage platine-palladium – Mélanie-Jane FREY (c)

Après 15 ans ans au service de la plupart des journaux et magazines de la presse française et internationale, ainsi que d’ONG tel que Medair for War Zone et d’institution diplomatique comme le Quai d’Orsay, Mélanie-Jane Frey décide d’explorer de nouvelles facettes de sa vocation de « faiseuse d’image » et s’immerge dans l’art contemporain. Depuis 2013, son travail se concentre sur les procédés alternatifs comme les tirages au platine-palladium, les cyanotypes ou le collodion humide.

L’exposition de ses ambrotypes : de la série « Cello » qui joue avec les ondes musicales, de son travail sur l’identité dans « Facing One’s Trueself » et de sa série d’intenses portraits de photographes de guerre pour l’exposition « Voir La Guerre Voir La Paix » sont exposés internationalement et ont reçu plusieurs prix.

Cello – Mélanie-Jane FREY (c)

En couleur au Polaroid elle présente : « My Magic Binoculars » des dyptiques aux allures de longues vues qui questionnent sur la mémoire de l’enfance, et où elle nous permet d’observer dans sa relation avec sa propre fille, la fugacité du souvenir et la lutte infatigable pour retenir l’instant présent.

My Magic Binoculars – Mélanie-Jane FREY (c)

Le passage de l’argentique au numérique

Question bête de novice : comment s’est ressenti l’explosion du numérique dans le milieu des reporters pro qui travaillaient avec des appareils 24X36 argentiques ? Bien entendu que la qualité n’était pas au rendez-vous les premières années, me répond Mélanie-Jane. Incomparable. Les photographes ont dû s’équiper rapidement en appareils très chers et surtout en logiciels, ce qui était nouveau à l’époque. Il a fallu repenser complètement le métier, notamment en y incluant l’ informatique. L’editing , c’est-à-dire le tri, le classement et l’archivage des photos aussi a été révolutionné chez les pros. Bien-sûr le gain de place a été un gros point fort. Ce qui a changé, c’est aussi les délais imposés par le client, me dit-elle. Alors que les pellicules (qui étaient très chères) étaient payées par le client et avaient besoin d’être développées dans un labo photo pour faire des planches contact (attente de quelques jours), le numérique a raccourci les délais. A tel point que les photographes qui demandaient un délai de deux jours pour le labo passaient pour des nigauds me dit-elle.


Stage au collodion et identité visuelle

En 2017 elle ouvre son studio à Paris dans le quartier de Belleville, le Studio Ambrotype & CO, principalement consacré à la technique du collodion humide et des procédés anciens alternatifs.

https://vimeo.com/242732279

Espace de travail pour ses futures créations, le Studio Ambrotype & CO propose aussi des prises de vue pour la création d’identités visuelles et de photographies d’exception.


Mélanie-Jane et le collodion

C’est après avoir été malade que Mélanie-Jane s’inscrit à un stage de collodion de plusieurs jours. Même si le formateur n’était pas le meilleur pédagogue du monde (d’ailleurs elle ne se souvient plus de son nom), elle a un vrai coup de foudre pour le procédé. Et Mélanie-Jane est du genre à rêver toutes les nuits de ses nouveaux projets tant elle les vit avec passion. Mais pourquoi tant d’attraction ? Maîtriser le procédé du début à la fin, y mettre les mains, prendre son temps, apprécier les accidents qui rendent chaque image unique rendent ce procédé complètement magique, me dit-elle. Eloge de la slow photography ? Non pas vraiment, c’est un terme de hipster ça, pas vraiment pour elle. Elle reconnait cependant que le rapport à l’image a aujourd’hui changé. On prend une photo avec son téléphone, c’est instantané. Il y a évidemment des questions à se poser sur la façon de créer une image et le rapport au temps. Elle s’étonne d’ailleurs qu’aux dernières Journées Portes Ouvertes à Belleville certains des stagiaires venus au Studio Ambrotype & Co se sont émerveillés de l’expérience de la prise de vue à la chambre, du tirage sur la plaque de verre et du rendu mais… ne sont pas revenus chercher leur plaque ! Evidemment, ils avaient pris une photo avec leur téléphone… Mais quand est-il de l’objet artistique ? N’a-t-il plus d’importance ? Son dernier coup de foudre : l’autochrome. Les procédés anciens la passionnent définitivement. Elle souhaite que l’on puisse continuer de les faire vivre. Et n’est-il pas de meilleur moyen que de les enseigner ? Mais attention, pas n’importe comment. Mélanie-Jane refuse le purisme radical. Faire perdurer les procédés anciens oui, mais au dépit du bon-sens et de la création artistique profonde non. Les procédés anciens doivent avant tout être un outil pour le créatif. Les puristes qui ne veulent utiliser que des vernis anciens originaux qui abîment les tirages et les colorent juste parce qu’ils sortent de vieux grimoires : très peu pour elle.

Et les chimistes au labo Studio Ambrotype & Co, ça fait des étincelles ?

Bien entendu que ma question était quelque peu orientée, étant chimiste moi-même. Il leur est forcément plus facile d’apprendre les techniques de base, me dit-elle. Ils sont rigoureux, ont des notions de préparation de solutions, de formulation. Ils ne rechignent pas non plus à appliquer les règles de sécurité. Et il y en a pas mal ! Mélanie-Jane utilise du cadmium, des dérivés de cyanure comme fixateur, de l’éthanol et de l’éther qui sont très inflammables. Le nitrate d’argent peut rendre aveugle. Le port du masque et des lunettes s’impose de lui-même. C’est un peu ce qui la retient de mettre  ses formations collodion « tout en ligne ». Et si l’interlocuteur était laxiste sur les règles de sécurité ? Comment s’adapter au public pour insister sur les points importants alors que l’on n’interagit plus directement avec eux ?


Mélanie-Jane : puissante pédagogue 

La pédagogie et surtout la notion de partage est proéminente chez Mélanie-Jane. Plus qu’une formation, elle propose aujourd’hui un vrai coaching. Pour elle, les procédés anciens et les techniques photographiques en général ne sont que des outils qui doivent être le support d’un projet et pas l’inverse. Un projet mûrit au cœur de nos sensibilités, de nos valeurs et de nos convictions. Il faut passer du temps sur le message que l’on veut faire passer pour monter un bon projet, me dit-elle. Et ensuite, il sera facile de trouver les outils qui s’y prêtent. Fin 2017, Mélanie-Jane Frey complète et finance ses activités et productions artistiques en dispensant des Masterclass Photo en ligne : www.mjfmasterclassphoto.com

Et cette année elle a même organisé une exposition : PREMIERS REGARDS à la galerie AAB à Belleville en septembre dernier avec les artistes photographes qu’elle a coachées. Des photographes pleines de créativité et de sensibilité. Voici un petit extrait ici :

Et c’est comme ça que j’ai été invitée pour une mini-conférence à la Galerie AAB de Belleville au milieu des artistes et visiteurs de l’exposition PREMIERS REGARDS! Quelle opportunité incroyable. Je la remercie encore chaleureusement!

Mélanie-Jane Frey et Analog You à l’exposition PREMIERS REGARDS

Sur la route de la politique

Dans « Homo Politicus », Mélanie-Jane Frey expose au Cellier à Reims des moments captés sur le vif des hommes politiques qu’elle a suivis. Elle surprend la chancelière allemande Angela Merkel qui vient de regagner la banquette arrière de sa voiture de fonction, l’ancien Président François Hollande dont le visage est caché derrière sa main levée, Valérie Pécresse espiègle lors d’une réunion publique, Jacques Chirac, tout sourire, dont des amis bienveillants réajustent le manteau au sortir d’une cérémonie officielle. MJF a couvert cinq élections présidentielles, des centaines de meetings ou conférences de presse pour lesquels des organes de presse lui commandaient des photos.

Sur la route par Julie Gacon : France Culture du 21/03/2014 (55 min) :

Avec le Général de Gaulle, finies les photographies au flash, il a fallu travailler en ambiance, suivre les politiques au naturel… tout en maintenant une certaine distance. Années Giscard : les barrières sautent, les réflexes changent. Hommes et femmes politiques laissent les objectifs s’approcher à moins d’un mètre… Leurs rapports avec les photographes sont plus simples, plus directs; il y a une certaine forme de jeu dans la relation entre celui qui prend la pose et celui qui la fixe. Quarante ans plus tard, comment se placent ceux dont la photographie politique est le métier ? A l’heure où chacun de nous peut prendre une photo, à la volée, de tel homme politique croisé au hasard d’une rue… Quelle est la place de ceux qui alimentent la presse, notamment, de portraits et de clichés pris sur le vif ? Démarche esthétique ou journalistique, comment envisagent-ils leur métier ? Comment éditorialisent-ils leurs photos à la manière d’un bon papier?

Suivre l’émission ici :
https://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=25529d0d-b0b1-11e3-9d89-782bcb73ed47

« Voir la Guerre, Voir la Paix », War Reporters for Peace project

« Voir la Guerre, Voir la Paix » est une installation multimédia de Mélanie-Jane Frey. L’installation photo et vidéo comprend un mur de vidéo monumental et une exposition de portrait photo géants. Le visiteur chemine au rythme des témoignages de grands photographes de guerre venus du monde entiers, et de leurs visions de la paix. L’exposition photo comprend 25 portraits serrés de ces photographes dont 18 que l’on retrouve dans la vidéo.

« Les photographes de guerre fascinent et inspirent le respect. Ils bénéficient d’une sorte d’aura romantique qui vient appuyer leur légitimité à témoigner auprès d’un large public. » précise Mélanie-Jane Frey.

Réalisatrice et productrice du projet « War Reporters For Peace » avec le soutien des éditions CDP, de Visa pour L’image, et de Matphoto . – Exposition en 2018 pour le centenaire de la paix pour la Première Guerre Mondiale 14-18

Chacun des photographes interviewés confient leurs espoirs et leurs doutes quant à un monde de paix. Fort du témoignage de leur expérience du conflit, ce tête-à-tête avec ceux qui ont vu l’horreur de la guerre fait naître une réflexion profonde sur notre engagement dans le processus mondial de paix.  Les photographies ambrotypes réalisées à la chambre grand format avec le procédé du collodion humide rendent toute la profondeur et l’intensité des regards.

« C’est le procédé idéal pour ce projet qui me tenait à cœur depuis tant d’années. Pendant 20 ans j’ai travaillé comme photojournaliste et c’est en fréquentant tous ces photographes qui couvraient la guerre, que j’ai réalisé à quel point leur expérience avait un intérêt tout particulier pour ceux restaient bloqués dans leur quotidien : en ramenant jusqu’à nous les sauvageries et les horreurs de la guerre, ils nous font prendre conscience de sa réalité hors des films, des jeux vidéo ou des livres d’histoire. » explique l’auteur Mélanie-Jane Frey.

Réalisatrice et productrice du projet « War Reporters For Peace » avec le soutien des éditions CDP, de Visa pour L’image, et de Matphoto . – Exposition en 2018 pour le centenaire de la paix pour la Première Guerre Mondiale 14-18

Mélanie-Jane : une artiste incroyable à suivre et avec qui je vous conseille fortement d’échanger! bises les petits chats

A suivre : en novembre à l’occasion du Salon de la Photographie à Paris, Mélanie-Jane va lancer son blog :

www.histoiresdephotographes.com

Un blog pour les photographes avec des interviews des célébrités du milieu et des articles hors du commun sur les astuces et les techniques pour boostez votre talent, votre visiblité, votre notoriété et surtout votre plaisir (et fierté) d’être photographe.

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