Le tirage au palladium

Tirage au palladium

Le procédé alternatif au palladium est le tirage par contact que j’affectionne le plus et pour cause : le rendu est tout simplement unique. J’apprécie la qualité de l’image : finesse des détails, contraste et nuances des bruns mais aussi l’aspect mat dû à l’imprégnation des particules de palladium dans le papier. On croirait presque du dessin au fusain. J’ai mis du temps à l’essayer : la chimie du palladium nécessite rigueur et patience et les produits chimiques ne sont pas accessibles à toutes les bourses : comptez entre 70 et 100 euros pour un kit de démarrage (sans compter l’achat de papier de qualité supérieure). Ne prenez pas peur : le jeu en vaut la chandelle! Vous obtiendrez des tirages uniques aux tonalités variant du noir froid au brun roux et qui se conserveront aussi longtemps que le support. Le procédé platine-palladium est considéré actuellement comme la technique de tirage photographique la plus stable . 

Un peu d’histoire

En 1883, le capitaine William de Wiveleslie Abney (1843-1920) rendit un service considérable aux photographes anglophones en publiant dans The Journal of The Photographic Society (devenu The Photographic Journal de la Royal Photographic Society of Great Britain) une traduction d’un mémoire primé de deux officiers de l’armée autrichienne : le captaine Josef Pizzighelli et le baron Arthur von Hübl. La brochure nommée « Die Platinotypie » avait été publiée en Autriche quelques années plus tôt et présentait un platinotype original d’une taille de 4X5 pouces (à partir d’un négatif du photographe Viktor Angerer). Le mémoire a également été traduit et publié en français en 1883 mais malheureusement ce platinotype original n’y figurait plus. Le manuscrit décrit brièvement leurs premiers travaux sur les propriétés de sensibilité à la lumière de certains sels de platine et le rôle clé de William Willis, junior (Kent, Angleterre).

« Die Platinotypie »

Mais remettons nous dans le contexte de l’époque. Le monde de la photographie n’utilise l’action de la lumière et plus exactement de l’énergie radiante et les propriétés réductrices de certains sels métalliques que depuis 1839. C’est en 1763, que le Dr. William Lewis, l’un des premiers chercheurs travaillant sur le platine a continué et approfondi les travaux de Johann Heinrich Schulze qui découvrit en 1727 les propriétés de certains sels d’argent à réagir à la lumière. Quand Lewis mourut, c’est Josiah Wedgwood qui racheta ses carnets de notes. Alexander Chisholm, l’ancien assistant de Lewis, commence à travailler avec Wedgwood comme chimiste assistant. Il enseignera directement son savoir-faire à Thomas Wedgwood (l’un de ses fils). Thomas publiera la première méthode de reproduction de dessins sur des plaques de verre à partir de sels d’argent : chlorure d’argent et nitrate d’argent. En parallèle, en 1776, Torbern Olof Bergman, professeur de chimie à l’Université d’Uppsala, celui-là même qui donna le nom de « Platinum » à l’élément, découvrait le sulfate d’argent et l’oxalate d’argent.

Platinotype original contenu dans « Die Platinotypie »

Les premiers travaux sur le platine

Les premiers travaux décrivant la sensibilité à la lumière de certains sels de platine et d’uranium sont attribués à Adolf Ferdinand Gehlen en 1804. Connu pour ses travaux sur les propriétés catalytiques du platine, le célèbre chimiste Johann Wolfgang Döbereiner était également très investi dans la recherche en photochimie. En 1826, il réduit des sels de platine (plus exactement, le chlorure de platine PtCl2) par l’action de la lumière. Et deux ans plus tard, il décrit la sensibilité à la lumière du chlorure de platine en solution dans de l’alcool et de la potasse (KOH). Ses observations sur la sensibilité des sels de fer oxalate contribuera largement au développement du procédé platine basé sur la réactivité des sels de platine avec de l’acide oxalique. Il découvrira également les propriétés du salmiac d’iridium (salmiac ou salammoniaque est en fait le chlorure d’ammoniaque obtenu sous sa forme de crystal naturel).

En 1832, Sir J. W. Hershel travaille sur la dissolution du platine par de l’eau régale (mélange d’acide nitrique et d’acide chlorhydrique) pour donner d’abord de l’acide chloroplatineux (H2PtCl4) puis du chlorure nitrosoplatinique (NO)2PtCl4. Cette solution exposée à la lumière donnera du platine métallique.

Platine dissout dans de l’eau régale (Wikipedia)

William Willis et « The Platinotype Company »

Considérée comme l’un des summums de la photographie alternative, la platinotypie est un processus de tirage photographique qui a finalement été breveté par William Willis, junior, en 1873. Les premiers procédés étaient longs et fastidieux. Trois opérations de couchage étaient nécessaires : d’abord le chlorure de platine, puis du nitrate d’argent et enfin de l’oxalate de fer. Après exposition, l’image était ensuite développée avec de l’oxalate de potassium, puis rincée avec de l’acide dilué et fixée avec de l’hyposulfite de sodium. Entre 1878 et 1880 Willis écrivit plusieurs brevets avec dans chacun des améliorations significatives du protocole. En 1881, Willis reçut la médaille du progrès de la Société Photographique pour son invention du procédé de platinotypie avec Herbert Bowyer Berkeley, l’un des plus anciens employés de l’entreprise « The Platinotype Company » créé par Willis.

William Willis fondateur du procédé de platinotypie et de l’entreprise « The Platinotype Company« 

Durant la première guerre mondiale, l’augmentation du prix du platine, alors utilisé comme catalyseur de produits explosifs, encourage la plupart des photographes à se tourner vers d’autres procédés photographiques, dont l’argentique, jusqu’à faire complètement disparaître les papiers de platine du marché. Redécouvert en 1960-70, ce procédé alternatif est apprécié notamment pour sa gamme étendue de tonalités et l’unicité qu’il offre à chaque image. Il s’agit d’un procédé alternatif utilisé par une minorité d’artistes photographes dont, au début du 20ème siècle, Alfred Stieglitz, Edward Weston et, plus récemment, Irving Penn.

Retrouvez toute l’histoire de la platinotypie dans : Platinum and Early Photography, Some aspects of the evolution of the platinotype par Ian E. Cottington, The Johnson Matthey Group, Platinum Metals Rev. 1984, 28(4), 178. 

Comment ça marche? 

Le procédé platine-palladium est une méthode de tirage par contact passablement lente, qui nécessite une forte lumière UV et des négatifs de la taille de l’image souhaitée (on parle de technique POP pour Print Over Paper, ou tirage contact en français). La lenteur du procédé s’explique par le fait que les ions ferriques sont sensibles uniquement aux Ultra-Violets (UV). La qualité du papier est très importante pour plusieurs raisons : le métal formé sera incrusté dans les fibres du papier et celles-ci assureront la longévité du tirage. De plus, l’usage de papiers traités avec des solutions oxydantes ou acides doit être évité pour minimiser les réactions parasites avec les métaux sensibles. On se tournera préférentiellement vers des papiers coton de haut grammage.

Preparation-solution-sensible par Laurent Lafolie

Ce procédé utilise des sels de palladium et/ou des sels de platine. Les sels de platine étant beaucoup plus chers que leurs analogues au palladium, la recette utilisée aujourd’hui n’utilise que du chlorure de palladium. Mais sachez qu’il existe des solutions contenant un mélange des deux métaux nobles ou bien uniquement du platine. Le papier est sensibilisé par un mélange d’une solution d’oxalate ferrique Fe(III)(C2O4)33− et d’une solution de tetrachloropalladate de sodium (K2PdCl4). Le tetrachloropalladate de sodium peut être obtenu en mélengeant in situ, en mélangeant du chlorure de palladium (PdCl2) avec un excès de NaCl dans de l’eau.

C’est le composé palladium qui rend le procédé très cher. A titre indicatif, le chlorure de palladium (PdCl2) coûte entre  30 et 60 euros le gramme en fonction de sa pureté contre 160 euros/g pour son analogue de platine (PtCl2) et 50 euros/g minimum pour le tetrachlroroplatinate (PdCl42−).

L’oxalate ferrique est lui plutôt bon marché à côté du palladium (17 euros/g). Il peut se trouver sous forme de poudre verte de potassium d’oxalate ferrique anhydre ou hydratée. Dans cette molécule, l’atome de fer est au degré d’oxydation (+3 ou III) et est entouré de trois anions oxalates. Sous sa forme solide et dissout dans l’eau, il est vert. Sous l’action de la lumière, l’oxalate ferrique Fe(III)(C2O4)33− en solution dans l’eau devient oxalate ferreux Fe(II)(C2O4)22−. C’est à dire que l’atome de fer absorbe un photon de la lumière et se décompose instantanément en Fe(II)(C2O4)22−, en CO2 et en ion ferreux oxalate. On parle de photoréduction car l’atome de fer gagne un électron et passe du degré d’oxydation +3 à +2.

Source : « New Insight Into Photochemistry of Ferrioxalate », J. Phys. Chem. 2008, 112, 8316.

La solution devient orange. L’oxalate ferreux réagit alors avec le palladium au degré d’oxydation +2 et le réduit. On voit alors apparaître l’image légèrement  sur un fond orange. Mais elle n’a pas encore ses tons définitifs. Après action du révélateur (citrate de potassium par exemple), le palladium est réduit complètement. On forme alors du palladium au degré d’oxydation 0, du palladium métallique de couleur noire. Le bain clarifiant à base d’EDTA permet d’éliminer les ions fer de notre papier qui s’oxyderait avec le temps et donnerait une couleur jaune/orange à notre tirage.

La platinotypie et le tirage platine-palladium a fait l’objet d’un dossier dans le magazine « Chasseurs d’images » de 2014 que je vous invite à consulter, ainsi que les travaux de Laurent Lafolie (merci Patrick pour ce tuyau).

Dossier sur le procédé platine-palladium de « Chasseur d’images » N°367 de octobre 2014

Allons-y !

Attention, le procédé palladium est couteux et demande de la rigueur. Je vous conseille fortement de travailler avec le plus de propreté possible et de ne pas oublier de faire de nombreux essais pour obtenir le rendu le plus satisfaisant possible. N’hésitez pas à suivre les conseils de Paul ALLAIN sur les méthodes utilisées pour les procédés anciens.

Kit Palladium S de chez Disactis

Pour mon premier essai, j’ai choisi de travailler avec un kit de chez Disactis. Il permet de faire environ 30 tirages 10X12 cm ou 15 tirages 13X18. J’ai aussi acheté du papier de haute qualité BERGGER Cot 320 (disponible aussi chez Disactis).

papier Bergger COT 320

Le kit Disactis contient :

  • une solution d’oxalate ferrique préparée à 27% 15ml : solution A
  • une solution de tetrachloropalladate de sodium ou de potassium à 17% de 15ml (Na2PdCl4), obtenu en mélangeant du chlorure de palladium (PdCl2) avec un excès de NaCl : solution B. Attention, la solution est toxique et corrosive (gants obligatoires et pas de rejets dans les égouts)
  • du chlorate de potassium (KClO3) 5ml (pour augmenter les contrastes) : solution contrastante C
  • du citrate de sodium en poudre 250gr : révélateur
  • de l’EDTA en poudre 250gr : bain clarifiant

En plus du kit et du papier, vous devrez vous munir de :

  • votre/vos négatif(s) sur papier transparent jet d’encre ou tout autre négatif (plaque de verre) bien résolus
  • de une voire deux cuvettes en plastiques pouvant recevoir vos tirages
  • un châssis presse ou un cadre photo
  • un pinceau de bonne qualité (mousse)
  • d’eau déminéralisée (5 litres) que vous pourrez trouver au supermarché

Inutile de vous dire qu’il faudra être extrêmement vigilant sur la propreté du papier, du matériel, des cuvettes…

Deux cuvettes en plastique
  • Préparation des solutions de développement et de clarification

Avant tout, il va nous falloir préparer nos deux solutions de traitement : révélateur et bain clarifiant. Pour cela, il vous faudra juste dissoudre 100g par litre d’eau déminéralisée chacune des poudres dans des récipients différents. Ces solutions sont réutilisables pour la totalité des tirages du kit. 250 ml ou 500ml sont suffisants pour être utilisés dans chacune des cuvettes.

Révélateur du kit palladium
Mes deux solutions préparées de révélateur et bain clarifiant
  • Préparation du papier sensible

Sous un faible éclairage électrique (éviter les néons qui envoient des rayons UV), et dans le petit gobelet fourni, mélanger les solutions A et les solutions B en proportions exactement égales. Pour cela, comptez bien le nombre de gouttes que vous utilisez grâce au bouchon pipette.

Ensuite, à l’aide de votre pinceau mousse que vous aurez préalablement mouillé avec de l’eau déminéralisée et essoré, étalez la solution que vous venez de préparer en couche bien uniforne et très fine. Pour éviter que votre papier ne gondole, je vous conseille de le fixer avec du scotch sur une surface qui ne craint pas (papier journal, plastique). Vous pouvez également ajouter du scotch à peintre sur les bords pour obtenir un rendu bien rectangulaire et que l’on ne voit pas les traces de pinceaux.

Vous pouvez maintenant laisser sécher vos papiers sensibilisés (une nuit) dans un endroit obscur.

Etendre la solution sur la feuille sèche sans surplus
Séchage des papiers sensibilisés dans un endroit obscur
  • Préparation du négatif

Choisissez des photos de très haute résolution et imprimer les en négatif sur du papier transparent avec une imprimante jet d’encre. Surtout veillez à la grande qualité de votre négatif. Pour cela, il vous faut tout d’abord retourner l’image puis la transformer en négatif. Le procédé palladium est un procédé de tirage contact. La taille de votre tirage sera de la taille de votre négatif. Durant l’exposition à la lumière le négatif est maintenu sur la surface sensible. Pour éviter un effet de diffusion de la lumière qui rendra votre image moins nette à cause de l’épaisseur du transparent, il vous faudra appliquer la surface imprimée contre la surface sensible. En palladium, vous n’aurez pas besoin d’augmenter ou de diminuer les contrastes de votre photo d’origine. C’est un procédé assez fidèle.  Pour ma part, j’ai choisi des portraits au format A4 car je souhaitais juger de la finesse du procédé en appréciant le grain de la peau.

Photo originale
Négatif à tirer sur papier transparent
  • Exposition à la lumière

Pour connaitre votre temps d’exposition, rien de tel que de vous faire un étalonnage du temps d’exposition. Pour cela rien de plus simple. Tracez des lignes avec un crayon papier sur votre papier sensible et décider d’une intervalle de temps : 5 min par exemple début novembre à Paris. Placez ensuite quelquechose pour recouvrir toutes les bandes sauf une et exposez à la lumière. Toutes les 5 minutes, vous pourrez découvrir une bande supplémentaire. Réalisez le reste du protocole et laissez bien sécher votre papier. Vous aurez ainsi une idée de la profondeur des noirs que vous pourrez obtenir et le temps d’exposition correspondant.

Papier sensible séparé en bandes
Traitement de la feuille étalon
Résultat après séchage de la feuille étalon d’exposition lumineuse

Maintenant, on ne rigole plus. Placez votre cliché négatif en contact direct avec la surface de votre papier sensible émulsion contre face sensible. Placez ensuite votre plaque de verre et veillez à maintenir le tout de façon ferme. Un cadre photo ou un châssis-presse fera l’affaire.

Laissez agir la lumière en choisissant d’exposer soit à la lumière du soleil directement, soit sur un banc UV en fonction des premiers essais que vous avez réalisés ou votre mesure test étalon.

Exposition à la lumière sous un cadre photo : 40 minutes
  • Développement et clarification

Une fois votre temps d’exposition terminé et de retour sous lumière atténuée, sortez votre papier et placez le dans une des larges cuvettes en plastique bien propre. Versez d’un coup et rapidemant la solution de révélateur. L’image apparait alors instantanément et se stabilise au bout de quelques secondes.

Après exposition à la lumière
Ajout du révélateur

Rincez maintenant votre tirage à l’eau claire 2 à 3 minutes. Récupérez le révélateur qui servira pour d’autres tirages.

Versez maintenant la solution clarifiante sur votre tirage dans la deuxième cuvette. Cette étape a pour but d’éliminer les restes de sels de fer qui pourraient modifier le rendu de votre tirage avec le temps. Agitez la cuvette de temps en temps et laissez le tirage dans la solution de 10 à 15 minutes. La teinte jaune disparait et les blancs deviennent bien blanc. Récupérez la solution clarifiante et laver votre tirage à l’eau claire au moins 5 minutes.

Ajout de la solution clarifiante qui devient jaune
Récupération de la solution clarifiante pour un autre tirage
Rinçage à l’eau claire
Résultats après rinçage
Résultat après rinçage
Résultat final après séchage
Résultat final après séchage (temps d’exposition trop long)

Pour aller plus loin : 

Dossier sur le procédé platine-palladium de « Chasseur d’images » N°367 de octobre 2014
Dossier sur le procédé platine-palladium de « Chasseur d’images » N°367 de octobre 2014

 

5 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Delphine Tonglet dit :

    Bonjour, J’ai lu votre page avec grand intérêt, dans le cadre de mon étude d’une photographie collée au frontispice d’un exemplaire français de Pizzighelli et Hübl. Vous écrivez que ces photos collées sont du photographes Victor Angerer et je voulais vous demander comment vous l’avez identifié, où vous avez lu cette précieuse information. Je vous remercie!

    1. Analog You dit :

      Bonjour Delphine, Merci pour votre message. Il ne me semble pas avoir précisé Victor Angerer. Une erreur peut-être ?

      1. Delphine Tonglet dit :

        Bonjour! Dans votre paragraphe « un peu d’histoire » vous précisez « (à partir d’un négatif du photographe Viktor Angerer) »

      2. DELPHINE, Madina Colette Anne Marie TONGLET dit :

        Un tout grand merci!

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